Dans le grenier de la maison de mes parents, j'ai feuilleté hier quelques cahiers à moitié rédigés rassemblés dans une vieille caisse bleue. Il s'agit de souvenirs rédigés par des gens de ma famille. Commencés à l’occasion d’un événement (déclaration de guerre - celle de 14-18, exode de mai 1940, fin de guerre, expatriation …), ces cahiers ont été abandonnés au bout de quelques jours ou de quelques semaines, quand les Allemands ont quitté la ville ou que la vie a repris son cours brouillon et intense ; la page blanche a été abandonnée comme un jardin parfois délaissé par un jardinier dilettante qui avait pourtant si bien commencé en bêchant, semant, plantant… Une ou deux saisons ont passé, et la végétation sauvage a repris dans un foisonnement d’autant plus exubérant que le terrain a été amendé, traité et bordé, avec un petit chemin tracé tout exprès menant à la tonnelle où la mère ou l’épouse angoissée s’était réservé le temps d’écrire. Commencé avec ferveur, soit que son auteur ait eu conscience d’être témoin d’une époque extraordinaire, soit qu’il n’ait pas trouvé dans son entourage l’attention dans laquelle il aurait voulu déverser le trop plein de ses émotions et de ses réflexions, le journal s’interrompt après quelques pages.
Quelques exemples de première phrase :
« Ce matin quatre uhlans sont passés à Rochefort et ayant rencontré le garde dans le bois, lui ont demandé son fusil sous peine d’être tué. » Rochefort, jeudi 5 août 1914 (la petite fille qui commence ainsi son journal de guerre est ma grand mère, alors âgée de 12 ans). Un peu plus loin (mardi 29 septembre 1914) : « Il paraît que 90 cavaliers allemands vont loger cette nuit à Rochefort et repartiront demain pour Saint-Hubert, où j’espère ils seront tous tués par les 2000 Français embusqués dans les bois ».
Vendredi 10 mai 1940 : « Ce matin, nous sommes éveillés à 5 heures par un tir sérieux de la DTCA. On entend les avions passer nombreux. Il fait un temps merveilleux. Premier matin sans brume après des semaines. Serait-ce une alerte sérieuse ? » (sic). (cahier commencé par la même grand mère, 26 ans plus tard).
Lundi 24 avril 1944 : « Ce matin, Adrien et moi avons terminé la tranchée-abri. » (journal de fin de guerre, rédigé par Jean-Noël, alors âgé de 16 ans)
Mémoires de guerre, mais aussi souvenirs de mère : « Aujourd’hui, mercredi 24 décembre 1902, à 14h14 est née à Bruxelles rue Capouillet, 4, Hélène – Noëlle Charlotte Louise-Marie. Ma petite fille pèse 4 livres 45 et mesure 0,44m. Je la nourris. Elle n’est pas jolie et si noire qu’on la dirait une petite négresse. » (la mère de ma grand'mère mémorialiste des débuts de guerre).
Ou réflexion de femme seule… :
Mercredi 30 août 1944 : « J’ai envie aujourd’hui de reprendre ce cahier abandonné depuis plus de quatre ans… J’en ai envie pour plusieurs raisons : nous vivons de nouveau une incroyable aventure après ces quatre années de stagnation. Je serai contente peut-être de retrouver plus tard le souvenir de ces jours extraordinaires. Et puis cela m’occupera dans cette période d’attente et d’anxiété…
Les dernières phrases sont comme ces corps retrouvés pétrifiés à Pompéi : des instantanés d’une vie quotidienne figée pour toujours : « (« Aujourd’hui j’ai baigné Hélène pour la première fois » (28 janvier 1903)
« Nous rentrons chez Marie où nous nous installons tant bien que mal. Puis commence une journée d’ennui mortel, la journée du lundi 4 septembre » (1944)… (la libération interviendra quelques jours plus tard).
Bonsoir, Thérèse!
C'est toujours très émouvant de retrouver des écrits de nos aïeux, en effet.
Pour ma part, j'ai retrouvé la correspondance entre ma grand-mère et mon grand-père paternels dans les années 20, puis la correspondance entre mon père et mon grand-père dans les années 50. Et aussi des lettres de mon père et de ses frères au Père Noël!
C'est vraiment un trésor très précieux. Le problème, aujourd'hui, avec les SMS et les eMails, c'est que nos descendants ne retrouveront RIEN!
A+
Rédigé par : Caplan | 18 avril 2012 à 23:57
Milsabor, est-ce grave de ne laisser aucune trace ? Nos descendants devront lire dans nos déchets, dans nos ruines, dans les paysages que nous laisserons les reliefs de nos vies. Si les papiers disparaissent, d'autres traces ne surgiront-elles pas ? Ce qui m'a frappée dans les cahiers retrouvés, ce sont les centaines de pages blanches, après quelques lignes "aujourd'hui, je commence mes mémoires"... Et puis rien. Nos arrières petits enfants. s'émerveilleront devant une canette de coca toute cabossée et rouillée ou un téléphone portable "énorme", ils trouveront sans doute des choses très émouvantes à en dire...
Rédigé par : Thérèse Sepulchre | 19 avril 2012 à 10:09
Ce n'est pas GRAVE de ne laisser aucune trace. C'est juste dommage.
Et ne laisser que ruines et déchets...
Franchement, tu connais beaucoup d'enfants qui s'extasient aujourd'hui sur des tessons de bouteilles de pinard d'il y a 100 ans?
Rédigé par : Caplan | 20 avril 2012 à 00:27
Des tessons de bouteille de pinard ? Non, mais LE RESTE ?
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Rédigé par : Thérèse Sepulchre | 20 avril 2012 à 08:26