Il y a à peine dix jours, j’appelais de mes meilleurs vœux des mots et des usages nouveaux, surprenants, pétillants. Me voilà bien : je ne peux plus ouvrir un journal, allumer une radio sans qu’une nuée de nouveaux mots me sautent à la figure ou me piquent les oreilles comme des puces. Je ne sais plus où donner de la tête ; l’actualité est saturée d’inventions lexicales ou de recyclages sémantiques. Les mots bruissent, s’envolent, se rassemblent comme des nuées d’insectes. Ma tapette à mouche, mon filet à papillon, mes pièges à mots n’y suffisent pas. D’ailleurs les bras m’en tombent de fatigue, mes doigts tremblent, ma plume ne peut plus rien, mes idées s’embrouillent. Après les objectifs chiffrés assignés aux ministres, leur entretien d’évaluation qui a fait tousser toutes les rédactions et les états-majors politiques de France et de Navarre, la peine de sûreté qui embête les meilleurs juristes, la durée légale du temps de travail qui a intérêt à faire sa malle, voilà le mot de civilisation qui est lâché. Projet de civilisation, politique de civilisation. Si on a lu son ouvrage, on a peut-être compris l’idée d’Egdar Morin. Nicolas Sarkhozy en a bien retenu le « concept » … Et il a lancé dans la foulée le programme « Magic Chrono», vous connaissez, si vous avez un lave-linge super sophistiqué, la fonction qui permet de rafraîchir votre costume chiffonné après une journée de réunion, or c’est justement celui-là que vous voulez absolument mettre ce soir pour… pour LA conférence de presse. Prouesse de la technique : le concept de civilisation est brillantissime. On se demande pourquoi les communicants n’y avaient pas pensé avant. Je m’étonne d’ailleurs qu’au supermarché, je n’aie encore jamais acheté de rillettes ou de petits pois « civilisation française ».Cela ne saurait tarder.
Et personne n’éclate de rire. C’est la faute à la culture de midinette qui nous envahit : il faut de la belle et bonne indignation. Les éclats fins de l’ironie n’émeuvent plus personne. Belle civilisation du « travailler plus pour gagner plus », des objectifs chiffrés en politique et des quotas d’immigrés… Belle trouvaille dans la logique de la campagne présidentielle sur les valeurs (qu’est-ce les candidats nous a bassinés avec ça).
Civilisations : elles sont souvent disparues. Leurs traces semblent éternelles, muettes et énigmatiques comme les pyramides d’Égypte. Le mot évoque le raffinement, l’avancement de la société sur le plan des liens sociaux et des techniques. La géographie du concept est un peu floue. C’est comme dans les guides touristiques, il est toujours difficile de déterminer où commence, où finit une région et quand surgit et quand s’achève une civilisation… Elle n’est pas réductible à un peuple, à une période, ou à une religion, encore moins à un système politique. On pourra discuter à l’infini : d’accord pour civilisation chinoise, gréco ou gallo-romaine, amérindienne… Mais non, pas « civilisation suisse » et encore moins « bretonne » ou « belge ». (Tiens encore un motif pour les Corses de faire sauter des préfectures).
Mille fois d’accord pour que des philosophes et des sociologues forgent un contenu fort et intangible au projet de civilisation : des hommes vivant ensemble de façon plus humaine, moins violente, plus intelligente… Mais malheur à celui qui s’empare du concept et le réduit en bouillie pour pallier l’illisibilité de son action politique. La civilisation n’avancera pas d’un pouce, et il y aura simplement un mot galvaudé de plus.
Dans la rotonde du Musée de Tervuren, à deux pas de Bruxelles, ne manquez pas les statues de :
La Belgique apportant la civilisation au Congo. Sur le site de cette institution, vous lirez : cette œuvre d’Arsène Matton (1873-1953) représente un prêtre blanc qui, étirant bien la tête et les épaules, domine littéralement un « indigène » à moitié nu et à l’allure enfantine. Par un jeu de proportions faussées, l’Africain lève les yeux vers son bienfaiteur, qui dispense civilisation et religion au 'continent noir '. Les autres statues de la série, qui ont pour thème 'L’esclavage' , 'La Belgique apportant le bien-être au Congo' et 'La Belgique apportant la sécurité au Congo' , soulignent les aspirations philanthropiques de l’œuvre coloniale.
Les statues décorant les niches de la rotonde ont été commandées auprès d’artistes belges entre 1910 et 1922 par le ministère des Colonies, pour ce qui était alors le Musée du Congo Belge.
Magnifiquement envoyé!
Franchement, je me sens comme le petit Congolais, moi... ;-)
Rédigé par : Caplan | 10 janvier 2008 à 21:10
Les politiques doivent laisser les leçons de civilisation aux profs d'histoire, tu ne trouves pas ?
Rédigé par : Thérèse | 14 janvier 2008 à 09:10
Surtout ceux qui divorcent et se marient en cachette!...
Rédigé par : Caplan | 14 janvier 2008 à 23:47